Le 05/11/2020
« Ah… toi aussi tu dors pas... »
(moi)
La nuit ici, c’est la grande foire aux insomniaques.
Alors... pas la foire bruyante, celle qui est emplie d’odeurs de chichis, de nougat ou de frites et de hot dogs ; et des flonflons trop énervés dans la superposition de tubes pré-mâchés rendus populaires par les radios commerciales ; et des cris affolés des aventureux qui aiment se faire secouer dans tous les sens par des machines créées pour apporter au quidam moyen sa dose d’illusion, lui laissant croire l’espace de quelques minutes qu’il est de ceux qui peuvent dévaler l’Everest en hors piste sur glacier (ou un truc du style, je suis certaine que vous voyez ce que je veux dire…).
Non.
Une foire discrète.
Une de celles qui se fait à pas de loup ; en gestes qui retiennent les portes (qui claqueraient autrement et en réveilleraient d’autres) ; en solitudes successives ou échanges étouffés.
Une foire feutrée ; pleine des tourments des insomniaques ; pleine des sons d’un hôpital qui dort et ne dort jamais : du bruit crissant des semelles des chaussons et des crocs (plébiscitées par le personnel infirmier de nuit dont un(e) débarque au moins une fois par nuit dans ma chambre, me foutant à chaque fois une trouille du feu de dieu !) qui glissent sur le lino des couloirs, des ronflements de certains (qui dorment eux… la chance qu’ils ont…), du chuintement continu des VMC et des sons de canalisations, des hululements de chouettes qui parviennent du parc à côté, des glapissements des grues qui descendent passer l’hiver au chaud, du son lointain des moteurs de voitures sur les routes, incessant, comme partout en ville.
Le dedans et le dehors… alors que nous sommes enfermés.
Depuis que je suis ici, je l’ai déjà écrit, je ne dors que très peu.
Je m’endors, et je me réveille deux ou trois heures après... et le sommeil n’est plus là.
Alors, je fais comme les fumeurs ici.
Je vais au fumoir, en bas.
Le fumoir est une sorte de véranda de quatre mètres par trois, avec des ailettes servant à évacuer la fumée.
Je l’appelle « l’enfumoir »* (Oh Enfumé !) parce que ce mot convient davantage à sa réalité (notamment juste après le dîner où les portes vers l’extérieur nous sont fermées, quand les fumeurs s’entassent pour la clope d’après le dîner… c’est une épreuve quasi extrême et les vêtements tout autant que les cheveux en ressortent instantanément imprégnés d’une odeur de vieux cendrier froid… je déteste...).
Qu’il soit minuit, une heure, deux heures ou trois (à vrai dire peu importe l’heure qu’il soit de la nuit, je les ai toutes bien malgré moi testées) on y trouve un autre... une autre… les insomniaques.
Parfois on ne dit rien, chacun restant cloîtré dans ses pensées et savourant sa cigarette (la nuit, l’enfumoir devient respirable), parfois on échange, on se parle des origines de l'insomnie.
Chacun a ses raisons de ne pas dormir et l’écoute est réelle parce que chacun traîne sa misère tout le long de sa nuit et sait ce que ça fait.
La longueur de nos nuits rend aisée l’ouverture des âmes, chaque émotion est surlignée par l’attente du matin, à défaut de celle du sommeil.
Les nuits sont longues, entre attente de l’éveil de l’hôpital et ruminations, et l’enfumoir devient à partir de quatre heures (il commence à y avoir du monde) le coin où on cause, où on rit, où s’échangent des dosettes de sucre et de café, où les confidences de la nuit font que chacun pose un regard attentif sur l’autre, même plus tard dans la journée.
Depuis que je suis arrivée, j’en suis.
Je suis insomniaque.
Je suis exposée de façon brutale au contexte de certains de mes traumatismes, et comme je vous l’ai expliqué précédemment, tout cela vient les réactiver.
Je savais que je dormais mal, ce depuis pas mal de temps en fait, notamment depuis que mon boulot s’est rempli d’enjeux plus lourds les uns que les autres.
C’est venu petit à petit, insidieusement, dans le trop de sommeil ou dans le pas assez.
Ici c’est presque pas !
Ils se sont donc appliqués à analyser mon (trop) peu de sommeil.
J’ai notamment un bandeau sur la tête toutes les nuits (élégance, sexitude, classe et confort assurés!), connecté à une appli sur mon téléphone portable (oui, il va falloir s’y faire : nous rentrons dans l’ère du soin 2.0… Marty Mc Fly n’a qu’à bien s’accrocher) et ce dispositif enregistre toutes les phases de mon sommeil.
Après dix jours de cette observation, il s’avère que non seulement je ne dors pas beaucoup, mais qu’en plus, quand je crois dormir, je ne dors pas !
Genre tu crois qu’tu dors et tu dors pas.
« Non mais allo quoi ! »
(Oui… ici à Zinzinland je m’autorise des sources chelous de citations autres que Nietsche, Camus ou Orwell, il semblerait que la connerie ambiante le permette (et vous noterez que je parle de la connerie que je perçois venant de l’extérieur...ici, somme toute... ça va...)).
Je vous rappelle que je refuse les somnifères ou autres psychotropes pharmaceutiques, mais mes toubibs ne sont pas du genre à se laisser impressionner par un tel détail.
Ils sont du côté des sciences qui étudient les courants électriques qui agitent notre bocal, des hormones qui régulent notre métabolisme, de tous les trucs nouveaux qui intègrent les nouveaux savoirs concernant nos intérieurs les plus secrets.
Depuis trois soirs, ils m’ont prescrit un hypotenseur qui agit sur le système nerveux central en réduisant l’afflux de sang qui nourrit mon emballement cérébral, lequel me maintient dans cet état d’hypervigilance qui semble ne plus me quitter, et me prévenant que si cela fonctionnait, mon cerveau retrouverait sa capacité au sommeil profond et fabriquerait à nouveau de la sérotonine* qui pourrait me tenir ensommeillée toute la journée.
Ben ça marche !!!
Dès la première nuit, j’ai dormi six heures, et l’analyse de mon sommeil montre de longues phases de sommeil profond.
Avant-hier, le premier jour, je me suis levée, j’ai déjeuné, je me suis douchée et j’ai fait ma luminothérapie (c’est tous les jours Halloween ici) et… je me suis recouchée. J’ai dormi trois heures, et encore deux heures après le déjeuner, et le soir, je dormais à vingt et une heure.
Depuis, je dors, mon enregistreur de sommeil montre de très belles phases de sommeil profond, je refais des rêves (des chouettes et d’autres où je suis inlassablement poursuivie par des Zombies… je sais pourquoi je n’aime pas les films qui font peur !).
Je dors et c’est tellement bon !
Je rêve et c’est tellement bon !
(Bon... il y a juste le détail des cauchemars à régler mais ça, ce sera l'objet de la suite de mon projet de soins.).
L’énergie revient, elle revenait déjà depuis le début du traitement en neuromodulation, mais bien trop grandement teintée de l’hypervigilance de mon cerveau emballé.
Je suis exactement là où il faut, il se peut même que j’y reste un peu plus longtemps que prévu.
Tous ces trucs 2.0 fonctionnent, je me sens enfin sortir de la stagnation dans laquelle j’étais en train de ramer.
Je suis insomniaque et ils ont le moyen de me soigner !!!
* Nous avons déjà fait l’expérience de l’enfumoir en transit dans l’aéroport d’Oman avec mes amies Guylaine et Sabine quand nous nous rendions à Katmandou... Sabine avait renoncé à y fumer sa clope, il faut dire qu’une clope dans un enfumoir correspond sans doute à une consommation moyenne de trois mois d'un vieux fumeur patenté !
* Je vais citer Wikipédia pour dire ce que nous apporte la sérotonine, c’est plus rapide pour vous faire comprendre ce qu’il en est (En plus je me fais le plaisir de faire comme Houellebecq, parce que même s’il semble être un gros con réac, je suis fan de ses bouquins) : « la sérotonine est impliquée dans la régulation de fonctions telles que la thermorégulation, les comportements alimentaires et sexuels, le cycle veille-sommeil, la douleur, l'anxiété ou le contrôle moteur. ».
Toussa toussa !
(Pour ma part, aucun problème de régulation sexuelle !)
(Poil aux aisselles!)
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