top of page

Coucou



Cela faisait longtemps qu'il en souffrait.

Les démangeaisons faisaient partie intégrante de ses fonctions vitales, au même titre que respirer, dormir, chier ou pisser.

Les agaceries provoquées par sa maladie de peau existaient avec lui, tout simplement... comme ça.

De plus en plus souvent, sa soif de grattage devenait si présente qu'elle devenait l'unique source de sa conscience, un réel calvaire. Il savait qu'il était l'unique créateur de cette maladie. Cela datait du jour où il avait pris conscience que tout ce en quoi il croyait, que toutes ses idoles, que tous ses émerveillements n'étaient qu'illusion. Illusion de l'anti-conformisme, illusion du "on est normaux nous Madame", illusion de bonheurs et d'amours plus éphémères que réels.

Alors... depuis... il se grattait.

De manière assez étonnante, c'était ses mains qui étaient atteintes par les démangeaisons, comme si il devait payer par des heures de grattage toutes les caresses qu'il avait pu dispenser. Toutes ses caresses et tout ce qu'il avait construit de ses mains, pourtant preuve si concrète de son rapport au monde, par le toucher... n'étaient que le prix à payer par des démangeaisons insupportables.

En plus du fait d'avoir conscience de sa propre auto-punition, elle était bien plus dérisoire et ridicule que s'il avait été vraiment malade. Confier à une oreille attentive que l'on est atteint d'une tumeur maligne est toujours beaucoup mieux reçu qu'avouer aux autres qu'on passe ses nuits à se gratter, sommeil inclus.

Il se grattait à un point tel que ses mains en étaient toutes déformées, il s'était même réveillé certaines nuits alors qu'il avait enroulé dans son sommeil ses doigts dans le tissu des draps jusqu'à se peler, à vif, littéralement. Ses mains, ses pauvres mains, n'étaient que l'ombre d'elles-mêmes, enflées, encroutées, meurtries... des sortes de mains-papattes qui auraient pu appartenir à un monstre de carton-pâte comme on en voyait dans les nanars de SF à petit budget.

Et la découverte de cette vaste illusion, de tout ce faux anti-conformisme, de cette normalité biaisée, ces amours et bonheurs fantasmés... en somme ce spectacle désolant et ridicule étalé à la face du monde par tous ces connards, le poussait à toujours plus se gratter.

La seule chose qui lui permettait de retrouver un certain calme intérieur était d'attendre patiemment la sortie enchanteresse du coucou que lui avait offert sa grand-mère, toutes les heures.

Dans ce monde de fous, cette charmante bestiole de bois un peu désuète le ravissait, son esprit se mettait à divaguer, ici, là ou ailleurs.

Durant ces courts instants, il cessait de se gratter.



15 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Solange

bottom of page