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Solange





Cinq jours sur sept, je prends mon service à 6h, depuis plus de 42 ans.

Je suis une lève-tôt, ça m’a jamais gênée de me lever à la nuit, j’ai pas besoin de beaucoup de sommeil. Il paraît que les maîtres du monde dorment peu et c’est pareil pour moi.

Sauf que moi, je suis pas maître du monde.

Tous les jours où je travaille, je m’occupe de vieux… oui, de vieux, dans une maison de retraite, un EHPAD comme ils disent maintenant.

J’aime mon travail, j’aime les vieux. Quand on les regarde de loin, les vieux, on a du mal à s’imaginer qu’ils ont pu vivre des choses alors que chacun a son histoire.

J’aime arriver très tôt et faire partie de l’équipe qui est là quand ils se réveillent, leur rappeler que c’est normal quand ils sortent du sommeil désorientés, qu’ils soient là, dans une chambre aux murs peints en vert tendre, parce que l’architecte de la chaîne d’EHPAD dont la mienne fait partie a décrété que le vert tendre est « doux » pour la fin de vie. Non mais quel connard celui-là… la chose la plus douce pour une fin de vie c’est sûrement pas d’être enfermé là, avec d’autres vieux. Ce serait plutôt d’être avec sa famille, entouré mais… c’est comme ça.

Alors oui, ça sent la pisse et la merde.

Alors oui, souvent la peur et la colère sont les seules choses qui restent à ces gens qui comprennent plus la vie.

Alors oui, certaines familles sont plus qu’absentes et il faut absorber et calmer les larmes.

Alors oui, certains sont cons, tout simplement… mais d’autres sont si attachants...

Je suis rien de plus que ça, une aide-soignante qui travaille avec des vieux.

Je m’appelle Solange, j’ai 56 ans.

J’ai grandi trop vite, d’ailleurs je suis très grande… et forte aussi. Mes collègues féminines font souvent appel à moi pour les aider à retourner ou relever un vieux parce que je sais y faire.

Je suis pas très belle. J’ai un visage allongé, de longs cheveux ondulés et bruns, enfin, colorés en brun maintenant… j’ai l’âge d’avoir plein de cheveux blancs mais je les cache. Je m’entretiens, je suis très féminine. Mon visage est pas ce qu’il y a de plus beau chez moi, il irait mieux sur un homme. J’ai un nez assez fort et assez long, des cernes enflées sous les yeux que j’ai depuis que je suis enfant. Ces cernes me donnent un air triste, même quand je souris et alourdissent mon visage dont les traits se sont un peu épaissis et affaissés avec les années. Des fois, je me regarde dans un miroir et je me ferais presque pleurer tellement j’ai la tronche d’un jour vide et sans fin, d’un jour malheureux. Et puis, je regarde mes yeux. Mes yeux sont magnifiques, bleus, très clairs, lumineux, soulignés par des grands cils bruns. Des hommes m’ont souvent dit qu’ils se perdaient dans mon regard. Je pourrais être hommasse si j’avais pas en moi une douceur bien féminine, ma voix, mon rire font de moi une femme. Mon corps aussi. J’ai toujours été fière de mon corps. Je suis comme on dit très bien gaulée ! Aucun problème de poids, je suis longue, grande et mes formes sont celles d’une femme.

Quand je me regarde en entier, je trouve bizarre le contraste entre mon corps presque parfait et mon visage qu’est pas beau. Mais je m’aime comme ça, les hommes m’aiment assez pour me baiser.

La journée je travaille en maison de retraite et je suis que ça.

La nuit, je suis une déesse du sexe. Je suis libertine et je vous emmerde tous.

Je suis inscrite depuis le début d’internet sur un site de rencontres libertines et je suis une de celles qui a le plus d’amis et de recommandations dans ma ville.

Je vais jamais en clubs ou saunas libertins. Je veux choisir ceux qui me baiseront, je veux être maîtresse de mon cul, à défaut d’être parmi les maîtres du monde.

Sur le site, je suis tellement connue et célèbre que je connais les modérateurs et que des hommes et des femmes m’écrivent pour me demander conseil quand ça part en couille. Oui, parce que des fois, ça peut partir en couille. Avec les femmes surtout. Certains hommes s’imaginent que parce qu’elles sont inscrites sur ce genre de site, elles sont prêtes à tout lire, entendre ou vivre.

Alors que les femmes sont des reines sur ces sites. Elles disposent d’une réserve d’hommes qui attendent que leurs feux verts, elles peuvent choisir, jeter, ignorer ou désigner les heureux élus. Il faut dire que les hommes sont si souvent maladroits. Certains s’y prennent très bien pour cajoler, séduire et arriver à leurs fins. D’autres y vont comme des gros bourrins, d’autres encore sont trop aigris de se faire trop souvent jeter pour arriver à trouver les mots qui donnent envie aux femmes de s’abandonner à eux..

Moi, je suis devenue une sage, une sage du libertinage, une sage du cul.

Je les écoute, je les cajole, en retour de tous leurs efforts pour pouvoir tremper leurs queues. Je suis une oreille attentive tout autant qu’une amante gourmande.

J'ai jamais réussi à garder un homme, ou peut-être que je l’ai jamais voulu. J’ai pas d’enfant à moi mais tous mes amants sont comme mes enfants… et je peux vous dire que j’en ai beaucoup !

Parce que les hommes sont souvent de grands enfants. Ils veulent donner le change mais l’exigence constante de leur jouet le plus intime, leur queue, les ramène à l’âge où la frustration est insurmontable, comme des enfants qu’ils sont. Même s’ils sont mariés, ils sont sans cesse en quête d’une nouvelle chatte, d’un nouveau corps à explorer.

Alors moi, je suis généreuse avec eux. Qu’ils soient seuls ou mariés, j’en ai rien à battre. C’est à eux que revient le choix d’aller voir ailleurs et moi, je suis un ailleurs très complaisant et ce qui se passe avec chacun d’entre eux ne regarde qu’eux et moi.

Je change souvent mes photos d’accroche sur mon site. J’aime que mes jambes soient galbées dans des bas, je porte à merveille toutes sortes de dessous sexy.

J’aime l’idée qu’un homme que je connais pas bande devant mes photos sur son écran, même avant que des mots soient échangés.

Je m’offre à beaucoup d’hommes. Peu m’importe leur âge, leur physique, le principal est qu’ils soient courtois avec moi… mais je refuse pas des petits mots un peu salés au moment de baiser pour autant. Après, quand ils ont joui, j’aime les câliner. Les langues se délient et ils peuvent me dire tout, tout ce qu’ils veulent et je peux vous affirmer que c’est là, dans ce moment où ils sont totalement désarmés, que beaucoup de choses sortent. J’aime ceux qui me parlent de leurs femmes, de leurs déceptions face à leurs vies qui sont trop loin de ce qu’ils ont rêvé.

J’aime aussi qu’ils m’écrivent une recommandation sur le site, je les collectionne. Ce sont mes faits de guerre, mes trophées. Ceux qui découvrent après ma fiche, savent que je suis incontournable et gare à celui qui est impoli ou qui devient harcelant. Mes copains modérateurs du site peuvent les éliminer très rapidement.

Je propose et je pratique des massages tantriques, juste pour faire voir que je suis déjà au-delà du sexe… et puis ça attire ceux qui veulent découvrir cette expérience si mentale et qui finissent de toute façon à rentrer leurs queues en moi. Le tantrisme en fait, je sais même pas ce que ça veut dire réellement, mais c’est exotique et il suffit d’aller sur internet pour pouvoir en parler un peu, et ça paraît une expérience si profonde, si mystique même, qu’aucun m’a jamais dit qu’il n’avait rien vécu de bon… de toute façon, ça finit par de la baise et j’aime ça la baise !

Alors quand ma collègue Sylvie me demande si vivre seule me pèse pas trop, je lui réponds que j’ai le monde ouvert comme amant. Elle sait pas cette part de moi, personne sait d’ailleurs autour de moi, ces choses-là, ça se dit pas… on me prendrait pour une pute, ça va tellement vite de classer quelqu’un qui choisit une vie différente, surtout les femmes. On a pas le droit d’avoir ouvertement des pulsions, des désirs, c’est réservé aux hommes… on dit même que c’est pour ça qu’ils vont jusqu’à violer. Alors que nous, les femmes, nous ne serions que les réceptacles des désirs de ces messieurs… Mon cul ! J’ai déjà ressenti de si fortes envies de baiser, qui vous prennent au ventre, au fond de vous… vous avez pas idée. Et quand je discute avec mes collègues, que ça parle cul (parce que faut pas croire, dans les maisons de retraite ça parle à fond de cul, on doit avoir besoin de dépasser la peine des vieux alors on parle de vie et quoi de plus vivant que le sexe, c’est par là qu’arrive la vie !), je les vois bien mes copines quand elles commencent à glousser et à se trémousser. Elles font les choquées, mais elles aimeraient bien savoir tout ce que je sais… et vivre tout ce que je vis.

Alors je me cache, je camoufle ce que je suis pour de vrai. Ma famille et mes collègues doivent me prendre pour une femme avec une vie pathétique. Ils croient tous que je suis chez moi, devant ma télé à gober sans sourciller toutes les nouvelles du monde et la vie inintéressante des fausses stars de la télé réalité alors que je suis devant mon écran d’ordinateur à inviter à venir chez moi un nouvel homme dont la recommandation viendra s’ajouter à mes conquêtes.

Je vis seule, en fait, j’ai même pas ni chien ni chat. J’ai mes hommes, ma collection, mes amants éphémères avec qui je passe le plus clair de mes nuits.

Je suis une reine, je suis LA reine de ma vie.

Je m’appelle Solange et un jour je serai aussi vieille que les vieux dont je m’occupe et je serai seule, parce que la vie on la traverse seul, quoiqu’on fasse.

Alors, une autre Solange prendra soin de moi et, si ma mémoire file pas entre mes doigts, j’aurai dans la tête tous mes trophées, mes amours d’hommes, auxquels je me suis donnée.


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